-Alors vas-y, explique-moi ton scénario…
-C’est donc l’histoire d’une jeune fille, 25 ou 26 ans je pense. Son père est un politicien en vogue, secrétaire général, tu vois, un truc de ce genre.
-Etats-Unis ?
-Angleterre, plus rustique ! Donc le père brigue la place de Premier ministre et la mère, elle, je la vois bien actrice de cinéma.
-Grace Kelly ?!
-Par exemple, une histoire de ce type. La mère que l’on voit souvent : télé, promo, festivals.
-Et la fille dans tout ça ? Elle survit ?
-Pas vraiment. Je la vois à contre courant, voulant se détacher de ce monde, mais tout en y restant fortement attachée.
-Elle aime les strass et paillettes ?
-Non, plutôt un bon jean et des baskets.
-Elle aime les soirées mondaines ?
-Elle ne veut pas l’avoue, mais sûrement, oui.
-Et alors cette fille…elle fait quoi dans la vie ?
-J’aimerais qu’elle vive un truc dément…un truc qui n’arrive que dans des films !
-C’est pas ce que tu es en train d’écrire, là ?
-Si….
-Bon alors envoie-là à New-York. C’est chouette, c’est grand, elle y sera perdue. Puis tu la catapulte dans un monde qu’elle ne connaît pas. Elle a fait des études ?
-Oui…pour faire plaisir à ses parents et avoir l’air d’une fille normale.
-Un truc sympa, comme étude…branché, qui l’emmène voir du beau monde…journaliste.
-Journaliste ?
-Ouais, note ça ! A 25ans, c’est jeune, mais elle est fille de star, ça passe toujours dans un film !
-Une fille de politicien et d’une actrice en vogue balancée à New-York dans un journal…mais pourquoi irait-elle là-bas ?
-Je sais pas trop…attend….peut-être qu’on chercherait à savoir des secrets sur elle ? Pour faire chanter son père et lui faire perdre les élections ?
-Ca colle parfaitement ! Des photos d’elle en soirée…des photos compromettantes qu’il ne faut pas que l’on retrouve. Elle fait une boulette une gaffe et on l’envoie à New York où elle se fondra dans la masse.
-C’est parfait !
-Mais elle ferait quoi dans son journal ?
-On peut dire que…que genre, elle a décroché un super poste. Tu y ajoutes une nana jalouse qui est là depuis longtemps.
-La nana veut lui couper l’herbe sous le pied.
-Ouais…et comme personne ne sait qui elle est, vu qu’elle vient incognito en changeant de nom, elle profite de ses contacts familiaux et écrire un super article !
-…et elle pique la place de la nana !
-Exactement !
Et voilà comment moi, Ellis Jacqueline Kennedy ai fait irruption dans ce monde. Fille de James Kennedy et de Dana Ellroy, ma venue au monde fut si médiatisée que les magazines people connaissaient mon visage avant que je ne le découvre moi-même. Mes prénoms ? Ellis, certainement comme Ellis Island ; Jacqueline fut un choix dicté par la folie d’artiste de ma mère, trouvant si amusant que sa fille puisse s’appeler Jacqueline Kennedy.
Les années qui passèrent furent heureusement plus discrètes, savamment orchestrées par mon avocat de père, qui se lança tôt en politique.
Fille de politicien et d’une actrice de cinéma, vous pouvez m’envier comme j’envie vos vies qui vous paraissent si insipides. Mon enfance a été rythmée par des précepteurs ou des institutrices n’osant me faire la moindre réflexion, craignant un caractère capricieux pourtant inexistant.
Je n’ai connu que tardivement l’école, les camarades, les amitiés éphémères. Elevée dans un carcan, ma mère a toujours craint pour moi, alors que le nom que je portais – Kennedy – était devenu si courant que nul ne me posait de question indiscrète sur mes origines. C’est donc à 10 ans que j’entrais enfin à l’école comme les autres enfants de mon âge, cartable au dos, donnant la main à ma gouvernante.
Se faire des amis lorsque l’on a vécu 10 ans enfermée n’est pas une chose aisée et rapidement, je me liais avec ceux que la mode et les courants rejetaient. Les têtes d’ampoules, c’était nous.
Je travaillais, car je ne savais faire que ça. J’étais l’une des meilleures élèves, mais j’étais également la chouchoute des professeurs.
Mon collège fut en résumé une catastrophe.
Parler de mon lycée serait peu intéressant, car il n’est que la suite logique de mon collège.
A 17ans, j’entrais à l’université, alors que mon père entrait au bureau du Premier ministre comme conseiller et que ma mère remportait son premier Oscar. Quatrième voyage aux Etats-Unis, pour une remise de prix et un dîner officiel.
A 17 ans, j’ai donc foulé pour la première fois un tapis rouge – forcée par ma mère – et serré la main du président des Etats-Unis ; j’ai aussi étrenné de jolis escarpins noirs et attiré quelques garçons venus chercher bonne fortune auprès de moi.
A 17 ans, j’ai donc connu ces premières expériences qui m’ont fait dire par la suite « Quelle connerie ! » . Les garçons, c’est bien, mais je le saurais vraiment qu’à 20ans. En attendant, j’étais une sorte de non-fille, une de celles qu’on appelle « garçon manqué » même si j’ai une jolie poitrine. En réalité, les strass, les paillettes et ce monde de lumières ne m’a jamais attiré. L’université m’a donné ce goût d’une vie normale.
L’université anglaise. Plus précisément Oxford, c’est un sentiment de liberté livré dans une petite boîte. Etudes littéraires et audiovisuelles, je me suis rapidement heurtée avec mes professeurs au sujet de cinéma, sans jamais vouloir dévoiler de quel hôtel particulier de Londres je sortais. Ma vie universitaire m’a tant plu que j’en oubliais les désirs paternels de voir sa fille prendre un droit chemin. Certes, mes amis ont rapidement su qui j'étais, mais à Oxford, parmi les gens que je côtoyais, cela était presque une norme. Nous nous complaisions de soirées dans des boîtes de nuit privées, ramenés par nos chauffeurs; nous achetions champagne et caviar, dépensions l'argent de nos parents de façon indécente, sans toutefois entacher leur réputation ou la notre. Fêtes, boîtes de nuit et caviar ne signifient pas forcément alcool...en quelques mots, je m'amusais sobrement et décemment, selon moi. Qu'importe l'avis du paternel.
Droit, économie, études en sciences politiques…voici ce qu’avait choisi mon père pour moi. J’ai finalement préféré suivre les idées folles de ma mère.
22ans déjà. 22 ans de cette vie un peu dorée, entre galas de bienfaisance et fêtes universitaires. Oxford, pour mon père, était le Mal incarné. Une raison supplémentaire pour y rester, bien que mon père ai toujours été ce héros que je ne cesse de chérir.
C’est pourtant à 22 ans que les plaques tectoniques de cette vie décidèrent de bouger. Ma mère, prise pour un tournage aux Etats-Unis, demanda le divorce. Ce mot a pourtant toujours été une chose abominable pour moi, mais prononcé ainsi, une coupe de champagne à la main, au retour d’un dîner de charité pour les Orphelins de Londres, il passe vraiment bien.
Me voici donc à 23 ans, prise entre un père qui ne parvint à comprendre les raisons de ce divorce et une mère heureuse de retrouver une liberté trop longtemps enfermée. Je dois dire que cette deuxième facette me permet de rencontrer des acteurs géniaux…vous seriez jaloux de mon mur d’autographes.
A 24ans, j’ai refusé un rôle, préférant conserver un peu plus mon anonymat, déclenchant le désespoir passager de ma mère et le ravissement de mon père. J’ai également suivi celui-ci dans sa campagne et l’ai accompagné à la soirée organisée en son honneur par son cabinet lorsqu’il fut nommé Ministre de la Culture. Nomination peu étonnant, soit dit en passant !
J'ai aimé cette partie de ma vie, qui m'a redonné le goût aux soirées mondaines et m'a faite revenir vers d'autres projets. Je me suis plus intéressée à la politique qu'auparavant, et goûtait au plaisir de profiter d'être servie.
Etre fille de Ministre, c’est cool, ai-je toujours pensé. Son salaire s’est envolé, mon argent de poche également. J’ai changé d’appartement et mes jeans sont à présents faits sur mesure, pour certains. Je n’ai toujours pas autant d’escarpins de Jenna, ma colocataire, mais mes baskets sont du derniers cri et je ne me prive plus de Starbuck ou de flâner chez Harrods. Je l’avoue sans honte : je flânais déjà chez Harrods avant que mon père ne soit Ministre.
Mais la Culture, c’est chouette, surtout lorsqu’il décide de m’emmener avec lui à quelques inaugurations.
Le seul hic ? Avoir un père ministre signifie « Vingt de conduite ». Attitude irréprochable, idées politiquement correctes et amis triés sur le volet.
Dans ce tableau, seules mes notes me permettaient d’obtenir un « Dix de conduite ». Le tout chuta lamentablement à la soirée de fin d’étude organisée au Hilton de Londres.
Je ne vous donne pas les détails, simplement quelques mots-clefs : alcool, drogues, photos compromettantes.
A 25 ans à peine, ma vie a donc basculé. Un père ministre ne peut afficher sa fille dépravée et inutile – selon ses termes. Ma mère ne souhaite pas non plus afficher son trésor dans les magazines people. La décision est venue malheureusement conjointement : m’envoyer travailler, apprendre les valeurs de l’argent, du salaire mérité. Aucun d’eux n’a voulu se souvenir des 24 glorieuses années avant cet épisode et ont impunément envoyé mon CV à ceux qui voudraient bien de moi.
Mon malheur se poursuivit lorsqu’un magazine féminin accepta ma candidature. J’aurais pu sauter de joie si le poste n’avait été à New-York et qu’il ne m'était pas possible de dévoiler mon identité.
Vivre dans la Grosse Pomme est une survie de chaque jour à mes yeux. J'aimais Londres, son coeur historique et la City, j'aimais Picadilly Circus et Trafalgar Square, j'aimais me promener sur le Strand.
New-York est une jungle. Pire, mon argent de poche m'a été coupé et je dois à présent m'en sortir quotidiennement avec un salaire minable, une coloc que je connais mal et pire, une collègue qui ne désire qu'une chose: me voir quitter ce poste.
Croyez-le ou non, ma vie est un enfer de chaque jour!